La masseuse qui rêvait de devenir chanteuse
- Dayve Donovan
- 9 févr.
- 8 min de lecture
En parachevant mon look ce matin-là, j’étais naïvement bien loin de m’imaginer ce qui s’orchestrait pour moi ce jour-là. J’avais rencontré SUZIE quelques jours plus tôt ; elle s’était présentée au salon de manière impromptue la semaine précédente pour demander conseil sur un désastre capillaire dont elle était victime. "Je comprendrais que plus tard, malheureusement, tout ce qui avait pu engendrer tout cela." Nous nous étions mis d’accord sur une première étape à réaliser pour tenter de réparer tout cela lors d’une consultation où je lui avais présenté un plan de ce que nous pouvions faire. Donc, ce matin-là, quelques jours après la consultation, SUZIE se présenta pour le fameux rendez-vous. Je l’accueillis tel une audience à la cour de Versailles, habillé et coiffé de mes plus beaux atours. "Clairement, quand on ne me connaît pas, on ne s’attend pas à cela ! Un curieux mélange de ZSA ZSA GABOR et d’un viking un peu, toujours overdress pour une séance coiffure dans un salon du plateau." Et là, le cirque qui se déploiera pendant des heures et qui me semblera interminable débuta :
MOI - « Bonjour, comment allez-vous ? »
SUZIE - « Ouf, tu parles fort ! Je sens toute ton énergie négative et oppressante essayer de me dominer. Est-ce que tu vas bien ? »
Elle me dit tout cela en faisant de grands mouvements de mains de son plexus vers moi.
MOI- « Moi, je vais très bien, et dans l’échelle de la négativité, je suis à -1000. Très certainement, êtes-vous sûr que vous allez bien ? »
Je ne comprenais pas ce à quoi j’assistais à ce moment-là, même si des lumières de "attention danger" s’allumaient de toutes parts, lol, je ne les voyais pas encore.
SUZIE - « Ouais, ça va, j’ai fêté 10 ans de sobriété hier et pour souligner ça, j’ai pris une brosse. »
(ouf, really, girl ! Que je me dis intérieurement) mon karma a un curieux sens de l’humour.
SUZIE - « Ça fait 7 jours que je me nourris au bouillon de chou, une cure de détoxication pour le corps et l’âme. Je suis si faible. »
(ouais, ouais, ouais, de mal en pis… mais dans quel bourbier je me suis mise les pieds, bordel, que je me dis intérieurement)
C’est d’une piscine de bouillon de chou qu’elle aurait besoin pour se détoxiquer, vous comprendrez plus tard, lol ! Je l’invite donc à s’asseoir ( la plus mauvaise idée que j’ai eu et que je regretterai pendant des heures plus tard ) et elle et moi revenons sur le plan de travail que nous avions mis au point lors de la consultation.
SUZIE - « Tsé, Dave, je rencontre l’homme de ma vie vendredi, on chatte ensemble depuis quelques jours… je l’aime, j’en suis folle, il veut que je sois blonde, mais moi, j’aime pas ça, faut trouver un compromis là-dedans. »
On discute ensemble et nous mettons au point un nouveau plan de match qui n’a rien à voir avec le plan initial pour satisfaire l’homme de sa vie qu’elle aime d’un amour fou et qu’elle a commencé à connaître en chatte. Je vous rappelle qu’il y a de ça 5 jours et qu’elle ne l’a pas encore rencontré. (Ma chérie, s'il avait fallu que j'appelle "l'homme de ma vie" tous les hommes avec qui j'ai eu un petit flirt un soir en chattant et en se racontant des anecdotes crunchy, tu peux t'imaginer la longueur de la liste…) fin de la parenthèse que nous n’élaborerons pas plus loin lol . Je m’exécute à débuter mon œuvre et là s’ensuit la pénible conversation qu’elle exerce dans l’industrie du massage érotique, mais que c’est une chanteuse de grand talent mise aux oubliettes pour ne pas nuire à CÉLINE et LARA que cela ! PLAMONDON aurait découvert et encensé la SUZIE quelques années plus tôt et l’aurait alors nommée meilleure chanteuse de sa génération, il lui aurait écrit plusieurs chansons, qu’elle n’a pu endisquer par manque d’argent, rejetant la faute sur cette industrie toxique qui privilégie les mauvais talents. Vous savez quand on ne couche pas avec les bonnes personnes , biensûr oui ! Elle s’exécute alors à ses talents présumés de chant tandis que je lui fais les papillotes et ohhh god !! La peinture décolle des murs, j’ai juste envie de me perforer le tympan avec mon peigne à tige pour mettre fin à cet horrible calvaire, mais au lieu de ça, je souris poliment en priant tous les dieux qu’elle cesse enfin ce supplice interminable. J’endure ce flow de conversations et d’exercice de chant durant tout le temps que dure la technique, je hoche de la tête et j’essaie de me montrer intéressé tout en essayant de camoufler mes véritables sentiments. Les discussions oscillent tout à coup autour de ses clients de massage, de ses espérances sur la nuit de rêve qu’elle souhaite passer avec l’homme de sa vie et on ne se tarit pas de détails croustillants, un genre de "fifty shades of grey" mais version cheap wild trash qui mettrait off même une nimfomane en manque de sexe. À 10:00 du mat, j’en demandais pas tant ! J’achève ma technique et je me dis vivement un petit répit durant la pause de la couleur, question de me remettre de tout ce que je viens de vivre et d’entendre. Je me sens souillé, lol, croyez-vous qu’il serait aussi facile de prendre congé d’elle ? Mais non ! Le supplice continue, elle me montre les textos qu’elle partage avec l’homme de sa vie, encore plus de détails crus sur la nuit torride à venir, avais-je encore plus besoin d’image mentale de cette scène à venir ? Assurément pas. Elle me suit, veut qu’on fasse des selfies ensemble. Elle aime mon style, ma vibe. J’essaie par tous les moyens d’esquiver ; à ce moment, je n’ai qu’un seul désir : que cette damnation s’achève enfin. En plus d’une heure que nous nous connaissions maintenant, j’en savais tant, j’avais l’impression d’avoir grandi avec elle. Le moment tant attendu arrive enfin, le rinçage. Il ne me reste qu’une étape, la patine finale, qui va parachever le look final. On se rappelle qu’elle veut être blonde pour l’homme de sa vie. En sortant la tête du lavabo, elle voit le look encore inachevé et l’apothéose survient.
SUZIE : « Mais je suis blonde !! Quelle horreur, je déteste le blond ! Ce n’est pas vrai qu’un homme toxique qui veut juste mon corps et obtenir des faveurs sexuelle va me dicter ce que je dois être ! Ahhh non cela recommence encore! je viens une fois de plus de me faire gâcher la tête. »
C'est a ce moment-là que les pièces du puzzle s'alignent dans mon esprit .Cela explique alors le désastre capillaire initial. Nous sommes dans une sorte de pattern. Je réalise que je suis pris au piège .
MOI - « C’est pas achevé encore à cette étape, mais ce n’était pas ce sur quoi nous nous étions mis d’accord ? »
Elle pleure, se prend la tête, parce que vous ai-je dit ? Elle a des troubles de gestion de la colère, elle me l’avait confié un peu plus tôt… s’ajoutant à tout un cocktail explosif de différents troubles de l’humeur et de comportements. La totale, quoi ! Je ne vous dis pas la chance que j’ai. Je tente de la rassurer que la patine va légèrement foncer le tout et que tout ira bien. Et tout en essayant de la rassurer, je la vois qui bloque de ses contacts l’homme de sa vie, qui est soudainement devenu l’homme toxique, et moi je sens mon âme quitter mon corps tranquillement, ne pouvant en supporter davantage, la chanceuse, je n’avais qu’une envie que mon corps la rejoigne aussi, lol !! Après toutes ces péripéties, le moment final approche… le dévoilement. La patine a accompli son travail, je rince et on file à ma station. Je n’ai qu’un seul désir : qu’elle parte et de ne plus jamais la revoir. Mais non, c’était trop simple. Tout en la séchant,
SUZIE : « Mais je ne suis pas blonde ? Mais Dave, je t’ai dit que je rencontre l’homme de ma vie vendredi, il veut que je sois blonde ! »
À la base, ce n'était pas censé être une excellente nouvelle, n'est-ce pas ? J'étais resté sous l'impression, après le numéro de "vol au dessus d’un nid de coucou" en Dolby surround avec effets spéciaux, que l'on ne voulait pas être blonde pour l'homme toxique.
Donc l’homme de sa vie, l’étymologie de tous ses fantasmes, devenu l’homme toxique à fuir et redevenu l’homme de sa vie à l’intérieur du même avant-midi. J’en pouvais plus, la vie m’en veut, c’est clair ! J’ai regardé mon étui à ciseaux et une idée apaisante m’a parcouru : me faire un hara-kiri ici, maintenant, tout de suite. Je voyais déjà la manchette : "Un coiffeur se fait un hara-kiri aux prises avec une cliente insupportable, intoxiquée à l’eau de chou." Cette idée m’a fait sourire et m’a donné le courage nécessaire d’achever cet enfer.
DAVE : « Ok ! Là, tu désires être blonde, Suzie ? Ou veux-tu du blond ? Réfléchis bien. »
SUZIE : « Ben, dans le bas de mes cheveux. »
Alors je m’exécute à nouveau, me disant que je suis condamnée, que c’est une situation sans issue. Je prie tous les saints de me venir en aide, que enfin Lucifer, Bélzébuth, s’en aille d’ici et que je retrouve enfin ma vie perdue, mes rêves oubliés. Nouvelles séries de papillotes, pause, rinçage, une autre patine… Le temps file et encore un déferlement d’émotions et d’histoires sans fin s’ensuit. Allez, vas-y, puisqu’on y est, ça ne peut plus être pire anyway. Et arrive finalement le dévoilement plus que final. Va t’en, merde !
Je la sèche. Il n’y avait que le bruit de mon séchoir pour briser le silence lourd qui habitait le salon à présent, mais je me devais de lui poser la question qui tue : aimes-tu tes cheveux ? J’appréhendais la réponse et si c’était ça mon destin, finir ma vie avec la seule et même cliente dans un circuit sans fin d’insatisfaction et de recommencement jusqu’à ce que l’un de nous deux se jette par une fenêtre complètement à bout de nerfs.
MOI : « Alors Suzie, est-ce que ça te va cette fois ? »
SUZIE : « Oui, ce sont les plus beaux cheveux de ma vie, mais c’est beaucoup trop blond !! »
Nonnnnnn !!! Attention, nouvelle de dernière heure : un coiffeur poussé à bout par sa cliente histrionique et borderline lui rase la tête avant de sauter par la fenêtre pour mettre fin à ses jours. Cette idée humoristique me permet de rassembler le peu d’énergies qui me restent pour finaliser cette séance. J’ai terminé mon service en la remerciant, fier qu’elle quitte enfin le salon avec mon œuvre, ma jeunesse et ma naïveté perdues à jamais, tout en m’interrogeant s'il était moralement acceptable de facturer des frais supplémentaires de Botox pour les rides qu’elle m’a causées, mais aussi ravi de me donner matière à discuter avec ma psy que je paie à coût prohibitif pour soigner mes traumas enfin elle aurait l’occasion de me prouver pourquoi je la surpaye, lol. Enfin, je la vis s’éloigner par la fenêtre "mon bourreau" lui faisant signe de la main, je me dis que l’enfer et le diable existent, ils s’appellent Suzie.
Vraiment super ❤️
J’adore! Et suis remplie d’empathie pour toi. J’aime vraiment ta façon de raconter tes sentiments imagés, on se sent avec toi dans le moment et on vit aussi « l’enfer », on compati et rigole en même temps. Ceci m’a vraiment fait rire: « j’ai juste envie de me perforer le tympan avec mon peigne à tige pour mettre fin à cet horrible calvaire » 😂 j’imagine clairement la scène.
Bravo et merci pour cette chronique capillaire hors de l’ordinaire! J’ai déjà hâte à la prochaine. Si elles ont toutes cette saveur, j’espère que tu en feras un recueil qui sera publié.
Je suis fan 🥰😊.
Je veux reconnaître ton audace et ton courage car ça en prend pour partager des écrits.
Go Dave…
On imagine pas toujours la réalité des affaires dans certains métiers. Cette histoire racontée avec beaucoup d’humour me donne le goût d’en lire plus!!! Allez Dayve prend la plume et continue !!!! Laurie
Quelle créativité. J'adore!