Des fillers et une céphalée
- Dayve Donovan
- 27 févr.
- 8 min de lecture
J’étais obnubilé par ces lèvres sèches comme le sol d’un désert aride et gonflée en overdose de fillers prête à éclater à fendre en deux , qu’il avait plantureusement tartinées de gloss hyper lustré et pailleté (mettons le spotlight sur les babines crevassées et hypertrophiées au cas où vous ne les auriez pas remarquées). Des sueurs froides me traversaient tout le corps à savoir si les petites peaux mortes noyées de luisance que j’observais partout allaient se détacher et faire leur grand saut jusqu’au sol pour finir par atterrir sur ma botte. J’étais en pleine consultation avec Michaël, qui était entré in extremis en plein samedi après-midi de sprint au salon (les clients n’ont décidément pas toujours le sens du timing quand il est question d’aller à l’encontre de conseils judicieux) pour nous consulter sur un ravage capillaire dont il avait été victime et qu’il espérait voir un miracle.
Michaël avait reçu deux services chimiques importants le même jour, soit des mèches et un relaxant de boucles. Inutile de vous dire combien il s’agissait d’une très, très, TRÈS mauvaise idée, mais je me demandais intérieurement : comment diable peut-on juger pertinent de faire un truc pareil ? Ses cheveux étaient si secs et endommagés que, juste en les regardant trop, j’avais peur de les voir tomber (tout comme les petites peaux mortes de ses lèvres), mais revenons au capillaire. D’abord les lèvres, ensuite les cheveux, c’était un concept ? Question de faire diversion ? que je me disais intérieurement.
Je regardais ma tondeuse avec attention, qui traînait là dans son tiroir ; je l’entendais m’appeler : "Dayve, Dayve, mets fin à ce carnage, cette dépression capillaire et à cette consultation, ni l’une ni l’autre vouées à une fin heureuse, et rase tout !" Du coup, nous aurions réglé le cas de cette abjecte chose qui trônait là sur sa tête. Mais, non, évidemment, les 5 cm de longueur qui n’exigeaient plus que l’incinération et qui survivaient de peine et misère, il ne pouvait concevoir de s’en départir, et nous devions trouver une solution pour que lui, mais "elles", survivent à cette épreuve.
J’écoutais attentivement Michaël me livrer ses espérances sur sa chevelure et me décrire comment était survenu ce désastre capillaire. Je regardais sa tête, qui ressemblait à un pinceau à blush dont on avait beaucoup trop abusé et qu’on ne comprend pas pourquoi il figure encore dans notre trousse (tsé, le genre de pinceau qu’on garde dans sa trousse et qui date de l’époque glorieuse où on faisait les bars jusqu’à 3 h du mat, avec lequel on se refaisait une beauté aux toilettes et qu’on refilait à toutes nos copines pour qu’elles fassent de même, le pinceau qui a traîné dans le fond de son étui à make-up avec tous les autres produits dont les poils cassés, rugueux même après avoir été lavés, ne font que accentuer son triste état). Ce genre de pinceau-là, vous avez l’image ? Ses cheveux épais, stressés et défrisés tenaient irsutes sur sa tête, formant un surprenant triangle inversé, mis en évidence par ses côtés rasés. Des mèches cuivrées décolorées venaient parachever le tout et contrastaient avec le noir ébène du reste de sa chevelure : "le pinceau à blush."
Michaël - « Dayve, je désire avoir de jolies mèches argentées et retrouver mes cheveux souples, brillants et lustrés, parce que là, ils sont indomptables. »
Re-décolorer des mèches rousses déjà à la limite de leur vie pour ensuite les pousser à blanc pour les patiner en argenté. Hummm, attends que je réfléchisse ? NON !
J’essaie d’expliquer à Michaël que poursuivre d’autres services chimiques agressifs dans ses cheveux (du moins ce qu’il en reste, lol) est une très mauvaise idée, que le meilleur plan et le seul que je m’autorise à lui faire consiste à tenter de restaurer sa chevelure avec une série de soins traitants professionnels jumelés à une parfaite routine à la maison pour nourrir ses cheveux et que nous réévaluerions la situation dans plusieurs semaines, voire mois.
Nous nous entendons donc pour fixer un rendez-vous le samedi suivant pour une première séance de soins traitants, mais là …
-Michaël- « Tsé, j’y pense, nous pourrions nous voir seuls tous les deux alors que le salon est fermé, ça ne me dérange pas d’être seul avec toi. »
Que je réfléchisse moi seul
avec le "pinceau à blush" et ses petites peaux mortes peintes en boule à facettes, son teint "playa del Carmen" qu’il avait brutalement arrêté à sa mâchoire, et qui n’avait pas jugé bon de poursuivre jusqu’à son décolleté, ça et le contouring Terra Cotta, et son parfum, un mixte de vanille, noix de coco, fleur de tiaré et de crème solaire. J’en avais trempé ma chemise à cette simple idée (le stade des sueurs froides faisait place au NIAGARA dans le milieu du dos). Dans des situations pareilles, je joue toujours la carte du mec un peu naïf qui ne comprend rien, le stéréotype du gars un peu niais pour qui une simple carrière de coiffeur était la seule véritable option s’offrant devant lui (pour une fois que ça servirait).
-Moi- « Le salon fermé à accueillir un client ? Pas de lumière, pas de musique, pas d’ambiance, aucune animation, ce serait vraiment plate pour toi. » (quand je disais niaiseux)
-Michaël- « Ouais, vu comme ça. »
Michaël quitta le salon, laissant sur son passage, de ma chaise vers la sortie : une traînée de cheveux cassés, de petites peaux desséchées pailletées et de poudres auto-bronzantes, un conte moderne de HANSEL ET GRETEL.
Je le regardai s’éloigner et lui fis signe de la main tout en fredonnant cette chanson de BEAU DOMMAGE qu’il m’avait inspirée : "tous les palmiers, tous les bananiers vont pousser pareils quand je s’rai parti. Je m’en vais chez nous, c’est l’été… " Il parle-t-il de paillettes là-dedans ?
Le samedi suivant, je l’attendais donc de pied ferme. Je m’étais concocté un look "maîtresse d’école de couvent" pour n’attiser aucun désir ou flamme. J’avais réussi à rendre le tout quand même fashion quand on me connaît, lol, c’est l’évidence même !
-Michaël- « Bonjour Dayve, ohhh j’adore ton look ! Très sexy le look autoritaire. »
NONNNN ! Look "maîtresse d’école de couvent" efficacité : 0/1000.
-Michaël- « J’ai bien réfléchi toute la semaine à notre rendez-vous d’aujourd’hui et je déprime, je ne peux plus me voir comme ça. Je pensais faire les mèches argentées finalement et revenir pour d’éventuels traitements. »
-Moi- « Je pense qu’on s’est mal compris, les soins traitants sont la seule et unique option qui s’offre à nous aujourd’hui dans ce rendez-vous. Aucun service chimique agressif ne sera envisagé pour toutes les raisons que tu connais déjà. »
-Michaël- « Et si j’insiste, j’ai envie de pleurer. »
Voilà ce qui avait dû se produire lors du premier rendez-vous avec son autre coiffeuse qui avait choisi, pour satisfaire Michaël, de lui offrir tous les services qu’il réclamait le même jour et ainsi le voir quitter… Bien évidemment, le plan initial fut la seule option que j’acceptai d’offrir et qu’il acquiesça finalement un peu à contrecœur, déçu que je n’accepte de ruiner davantage ses cheveux. Je m’exécute donc à faire le traitement, j’explique chaque étape, il prend des notes de ce que je dis, des photos des produits et du processus, pose de très nombreuses questions sur les moindres détails… se disant très nerveux suite à sa dernière mauvaise expérience (inutile de préciser à ce stade qu’il n’y aurait aucune chance que je m’exécute dans le futur à réaliser un service chimique dans ses cheveux). Deux heures avaient filé pour un rendez-vous qui, ordinairement, ne prend qu’une heure. Le traitement enfin terminé, nous constatons ensemble les bienfaits sur ses cheveux, maintenant en meilleure forme qu’à leur arrivée. Je lui conseille la routine détaillée qu’il devra suivre à la maison pour entretenir les bienfaits du traitement d’aujourd’hui, mais aussi poursuivre la réparation. Routine qu’il n’achètera pas, préférant regarder ce qu’il a déjà à la maison comme option pour lui dans ses nombreux produits. Michaël me remercie, ravi du résultat, tout en me soulignant au fer rouge qu’il aurait souhaité qu’on fasse quelque chose pour ses reflets cuivrés décolorés, mais qu’il comprend que nous devons d’abord traiter ses cheveux. Il quitte en me remerciant chaleureusement et en me disant qu’il m’enverra tous ses amis de sa communauté comme clients pour me remercier. lol non non, j’en demande pas tant, je t’assure.
Je resterai deux semaines sans nouvelles de Michaël et un peu ravi de ne pas en avoir aussi quand soudain un téléphone troubla ma soudaine quiétude.
-MICHAËL- « Dayve, c’est Michaël, je sais pas si tu te rappelles de moi ? Je suis venu pour un traitement, et suite à cela, j’ai eu une violente migraine de deux jours et des pellicules sont apparues. J’aimerais te rencontrer pour analyser la situation et te montrer. »
Tout en lui spécifiant que je n’avais jamais entendu de ma vie professionnelle qu'un traitement hydratant et réparateur puisse causer des migraines de deux jours et des pellicules, surtout que nous n’avions pas appliqué de produits sur son cuir chevelu, c’est le moins qu’on puisse dire, très bizarre ? Je consens toutefois à le rencontrer le lendemain à sa demande pour constater la situation.
Le lendemain, Michaël ne se présentera pas, du moins pas durant mon quart de travail que je lui avais précisé au téléphone, mais choisira plutôt de se présenter tout de suite après mon départ pour parler de la situation à un de mes collègues.
-MICHAËL- « Bonjour, je suis passé pour un traitement capillaire avec Dayve il y a deux semaines, mais suite à cela, j’ai eu une violente céphalée durant plus de dix jours, avec des épisodes de chocs électriques me parcourant tout le corps, et des pellicules au cuir chevelu sont apparues subséquemment. »
Donc, la migraine de 2 jours, en moins de 24 heures, s’était transformée en céphalées de 10 jours, avec des épisodes de chocs électriques dans tout le corps (céphalées : terme clinique pour désigner de violents maux de tête). Inutile de préciser que mon collègue, tout comme moi, n’avait jamais entendu parler d’une telle situation survenant suite à un traitement capillaire et qu’à l’examen de son cuir chevelu, pourtant parfait, rien n’indiquait une anomalie expliquant des pellicules. Michaël quittera le salon ce samedi-là, et ce n’est que le mardi suivant qu’il rappellera, mais cette fois, voulant déposer une plainte pour faute professionnelle à mon égard.
-MICHAËL- « Bonjour Dayve, je suis passé samedi suite à ton départ pour parler avec un de tes collègues de ma situation, et je ne suis pas satisfait de la réponse que j’ai eue. Je pense que ce n’est pas normal d’avoir comme effets secondaires : 17 jours de céphalées persistantes, accompagnées de crises d’épilepsie et de troubles neurologiques, en plus de pellicules, et je trouve mes cheveux encore secs, donc j’aimerais un remboursement. »
Donc, en moins d’un week-end, la migraine de 2 jours s’était transformée en celle de 10 jours pour finalement migrer en 17 jours, les chocs électriques étant devenus des troubles neurologiques, accompagnés de crises épileptiques soudaines, et j’ajouterais à cette longue liste de symptômes des épisodes d’Alzheimer parce que clairement il a des problèmes à se rappeler avec exactitude de ses troubles, et tout cela causé par un traitement hydratant réparateur. Les fous ne sont pas tous enfermés !! que je me dis, encore heureux que je ne me sois pas retrouvé seul avec lui selon son plan initial, si je ne l’avais pas refusé.
Mais comment avais-je pu me retrouver dans un remake de FATAL ATTRACTION avec GLENN CLOSE, jouée par une sorte de comtesse chez MARY KAY qui avait trop abusé de l'auto-bronzant, du gloss et des paillettes ?
Tout en éteignant les lumières du salon cette journée-là, en voulant matifier mon teint et faire quelques retouches, je saisis mon pinceau à blush qui traînait tout au fond de mon sac. En le regardant attentivement, je me disais que lui et moi avions vécu beaucoup trop de moments ensemble, nous étions lui et moi devenus un peu trop usés, et il gagna le fond de la poubelle, un geste symbolique qui me consola de tout ce que j’avais vécu cette semaine-là.
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