De la "Big Apple"à la coupe à pallier multiples
- Dayve Donovan
- 21 févr.
- 8 min de lecture
C’était un après-midi fou au travail, comme j’en avais vu tant d’autres. Je n’en suis pas à mon premier rodéo : une cliente après l’autre, 2-3 bouchées sur le coin d’une table et hop ! On est reparti. La moitié de la journée a filé et tu te rends compte que tu n’en as pas encore profité pour aller aux toilettes ou refaire un petit touch-up à mon look judicieusement étudié. Vive le fixatif à forte tenue ! (Je me sens parfois comme ces "petites madames" à qui je lavais les cheveux lors de mes premières années de coiffure, où je n’étais alors qu’un assistant. Mets-en du spray-net, ça ne bougera pas ! L’eau perlait sur leurs cheveux à force d’abuser de la bombe aérosol quand j’essayais de les shampouiner.) Je peux vous dire que l’eau perle sur les miens aussi aujourd’hui, crois-moi, ça ne bougera pas non plus ! "C’est beau tes cheveux, Dayve, très brillants, et tes boucles sont parfaitement rebondies." Tu m’étonnes, tiens ! J’ai les cheveux tellement plastifiés par toutes ces couches de laque cumulées que je peux faire exploser la ville de Montréal si on approche une flamme de ma tête, une arme de destruction massive.
Certains, c’est le yoga, d’autres la méditation. On récite des mantras ou fait des prières ; tous les moyens sont bons pour faire le vide et se permettre de se recentrer et de canaliser ses énergies. Paradoxalement, moi, c’est une taf de cigarette que je m’accorde entre 2 clientes, "mon côté COCO CHANEL" que j’ose penser, lol. Ça me permet de sortir dehors, sentir la ville et sa vibration, et ce quartier "LE PLATEAU" que j’aime tant, ses résidents plus différents les uns que les autres, au style hétéroclite. Tout cela est une telle inspiration. C’est tout cela qui se passe en moi lors de ma petite pause nicotine ; tous mes sens sont en ébullition à l’éveil.
-PASSANTE- « Your style is so original and wonderful. »
Hein, quoi ? Cette passante un peu trop "loud" venait de péter ma petite bulle de tranquillité que je m’étais créée pour échapper 2-3 minutes à mon univers un peu fou au salon.
-PASSANTE- "You’re incredibly artistic and I want a haircut by you, un souvenir de mon passage à Montréal. I come from New York."
Je regarde cette femme underground, une "King Can" de bière à la main, titubant un peu beaucoup à 13h00 de l’après-midi, le rouge à lèvres hors de sa zone, avec bien des couches de crayon noir autour des yeux (comme pour mes cheveux, la laque), mais clairement pas le même effet, enfin j’espère ! Des cheveux qui relèvent davantage d’une mission pour coiffeur sans frontières, mets le feu là-dedans ! On fait un grand reset, ça ira plus vite, et des vêtements qui semblent avoir été pigés au hasard sans se soucier de leur concordance, et je m’abstiens de commenter leur état. Vous pouvez vous imaginer. Elle a l’air d’une œuvre de JEAN-MICHEL BASQUIAT vivante. Je me dis : bon, ça y est ! Pas moyen de jouir d’un petit moment de tranquillité, faut que je tombe sur BETTLEJUICE, come from New York mais du plateau, et évidemment, fallait que ça tombe sur moi ! Je vous l’ai déjà dit, mon karma a un curieux sens de l’humour, je le vois maintenant comme une fatalité.
Elle saute de l’anglais au français à je ne sais quel autre dialecte et elle parle fort. Déjà, sur le trottoir, je ne passe pas inaperçu ; (mon style attire beaucoup l’attention) inutile de préciser que si tu me fous en plus une enceinte produisant feu d’artifice, son et lumière, une sorte "d’écho du chaos" direct à côté, c’est complet. J’ai l’air d’une bête de foire dans un de ces cirques ambulants de l’étrange. Je la remercie, je souris, j’essaie de lui expliquer que son beau souvenir de Montréal ne sera surtout pas en collab avec moi. "Sorry girl, mais non ! Je baragouine tout cela poliment et (censuré de mes sentis) dans mon anglais qui sonne pas trop "class" et très très peu intelligible, mais qu’elle semble parfaitement comprendre. Merci, Dieu, l’alcool a brouillé ses sens, pour une fois que ça servira à quelque chose. Je prends congé d’elle rapidement, la remerciant des beaux compliments qu’elle m’a couverts plus tôt, et je retourne au boulot. 2-3 coups d’atomisateur de mon parfum préféré, bahhh… plutôt 5-6, n’ayons pas peur des mots, son haleine sentait tellement fort le vieux "Irish pub", j’ai l’impression d’avoir ces effluves d’alcools méphitiques tatoués sur moi.
Bon, où en sommes-nous ?
J’attendais maintenant LUCIE ; elle et moi, nous nous étions connus dans une vie antérieure (que je m’amuse à l’appeler). Un rendez-vous pour une coupe, un grand classique où, je vous fais le topo : on vous demande les dernières tendances, la coupe parfaite qui convient au style de visage, à l’anatomie du cheveu et au style de vie du sujet, les photos de ce que ça pourrait être et de ce que ça ne doit pas être aussi, tout le CV capillaire complet des dernières années et quelques anecdotes personnelles à l’intérieur de tout cela, il va sans dire. Une bonne discussion qui dévore 40 minutes du précieux temps de 60 minutes total que j’alloue à une coupe de cheveux, pour finalement qu’elle choisisse une coupe de pointe seulement et qu’elle réfléchira aux autres options à un moment donné… LOL ! Thanks God ! By the way, il me reste 20 minutes pour te couper les cheveux. Donc, évidemment, tout cela avec les quelques années écoulées depuis, je l’ai oublié et la revoilà donc sur ma chaise, en espérant que ce sera le petit moment "easy" de l’après-midi.
-LUCIE- « Dayve, je ne me suis pas fait couper les cheveux depuis ma dernière visite avec toi. »
-MOI- « Ok ! Mais ça fait un sacré moment, un bon 3 ans certain si ce n’est pas plus ? »
-LUCIE- « Ouais, sûrement, je voulais voir jusque où mes cheveux pouvaient allonger, mais là j’ai besoin de changement et je t’ai apporté une petite inspiration. »
Bon, une photo super ! Elle a une inspiration, Alléluia !! On pourra faire un "short cut" sur la consultation de 40 mins de la dernière fois, que je pense. Elle me montre une petite coupe de cheveux très courte, une "pixie", que nous appelons, à la seule différence près que le modèle sur la photo a les cheveux ondulés, avec du corps et placés vers l’avant, mais que Lucie a les cheveux longs "milieu du dos", fins, droits, sans corps, plats, et elle porte une séparation au centre depuis probablement avant sa naissance, et que je me souviens, elle refuse d’abandonner.
-MOI- « Donc Lucie, tu es prête pour un grand changement. Juste pour que nous nous entendions : tu as remarqué que le mouvement de ses cheveux va vers l’avant, qu’il n’y a pas de séparation et qu’il est important que sa texture de cheveux n’est pas la tienne ? Donc, le résultat sera très différent sur toi. Mais surtout, es-tu vraiment prête à un changement aussi radical de longueur de cheveux ? De ton look actuel, vestige des années "hippie", artefact de 1960, à la coupe courte "pixie" d'aujourd'hui, il existe tout un éventail de longueurs et d'histoires capillaires inexplorées. Mais cette dernière phrase, je me la suis plus dite intérieurement que exprimée à voix haute, enfin évidemment je ne lui ai pas partagé dans ces termes-là.)
-LUCIE- « Oui, j’ai remarqué ! Je me suis dit que tu pourrais me montrer des photos du résultat escompté sur moi. Moi, je tiens à conserver ma séparation au centre, je n’aime pas les cheveux vers l’avant et me coiffer, donc mes cheveux resteront dans leur tomber naturel. C’est réaliste, tu penses ? Et je me disais, vu qu’il s’agit d’un énorme changement, j’ai pensé qu’on pourrait s’amuser à faire quelques coupes de transition pour voir différents looks et options aujourd’hui. Tu pourrais tout prendre en photo et documenter cela sur les "réseaux sociaux", c’est un beau projet, hein ? »
Et moi qui pensais naïvement à un petit rendez-vous easy de milieu d'après-midi, LOL ! La chute est on ne peut plus brutale, ouchhh ! Donc je dois faire la recherche de photos pour te montrer le résultat réaliste que produiront "tes attentes", basé sur des coupes très courtes séparées au centre avec des cheveux fins, mous et droits. Je ne sais pas si vous vous faites l’image mentale du résultat ? Pas besoin d’être coiffeur pour comprendre qu’on fonce droit sur une catastrophe capillaire monumentale, un désastre ! J’espère que si je fais une recherche, il n’y a pas quelqu’un, quelque part, qui a fait ça et qui a eu le culot de prendre ça en photo par-dessus le marché, quelle horreur ! (Ok ! À ce stade-ci de l’histoire, je me dois de vous confier un grand secret : il y a une coupe qui existe, qui correspond à cette demande qu’on ne peut pas nommer, un coiffeur meurt quelque part dans d’atroces souffrances à chaque fois que son nom est évoqué. On a tout tenté pour l’enrayer à tout jamais, brûlé tous les livres où elle figurait, son nom a été proscrit du langage capillaire, des bénédictions et rituels purificatoires magiques ont été faits, mais son souvenir perdure encore aujourd’hui. Un écran se brise quand elle est téléchargée, un satellite tombe en panne. Mon dieu ! J’ai peur de l’écrire, c’est l’abominable "coupe vagin", oui oui ça existe vraiment.) Donc je dois nous trouver un plan réaliste à reproduire en final aujourd’hui et le documenter pour le valider avec toi, mais tu espères en plus que nous nous amusions à construire quelques coupes de transition pour s’y rendre, question d’agrémenter des éléments spicy à tout cela. Faisons un mood board pendant qu’on y est !! Et que cerise sur le gâteau, je produise du contenu pour mes réseaux sociaux pour encourager d’autres femmes à venir s’amuser (à l’intérieur d’un rendez-vous d’1 heure) sur ma chaise à une séance transitoire d’un extrême makeover capillaire. Hummm, attends que je réfléchisse… cette offre est tellement tentante mais I DON'T THINK SO !!!
-MOI - « Lucie, je vais te suggérer une coupe, un look et des photos de ce que nous pouvons réaliser aujourd’hui, en fonction de tes attentes et en tenant compte de ta morphologie, de la nature de tes cheveux, et du travail que nous pouvons faire aujourd’hui. Ça te convient ? »
-LUCIE- « Ouais, mais si je veux autre chose, je devrai reprendre rendez-vous et te payer encore pour vivre tout ce que nous pourrions faire aujourd’hui en un rendez-vous pour le prix d’une coupe. »
Oui, ma chérie, on commence à se comprendre. Inutile de préciser qu’il y a une seule partie dans l’histoire qui a remporté et réalisé sa proposition, et ce n'est pas Lucie. J’ai soumis ma suggestion "réaliste" et stylisée de la création que je désirais lui faire, qui ne figurerait pas au panthéon des ignominies capillaires répertoriées sur Wikipedia, avec ma photo en description du coiffeur mort en pleine disgrâce suite à une coupe qu’il a tenté de faire revivre, et qu’on surnommerait la "Donovan cut", basée sur l’atrocité de son projet qu’elle m’avait partagé plus tôt.
Avec tout ça, j’ai quand même investi une bonne demi-heure dans ma consultation, repoussé un prochain client de quelques minutes pour que Lucie ressorte et vive sa “best life” totalement sans anicroche ? Bien sûr que non, lol. Évidemment qu'en cours de route, Lucie s’est permis de proposer tout un tas de transgressions au plan de coupe à mesure que celui-ci évoluait et avançait. Et si on faisait ceci, ou cela, ou que penses-tu si on modifiait… Des idées métaphoriques tout aussi pertinentes et autour du même thème que sa "pixie cut" de tout à l’heure. Inutile de préciser qu’aucune d’elles n’a été prise en considération. Lucie est finalement repartie avec une coupe qu’elle qualifiera le lendemain, dans un des nombreux textos qu’elle m’envoya, du plus beau changement de sa vie, mais aussi accompagnée d’une autre photo d’inspirations futures d’un changement qu’elle aimerait faire. Comme quoi il n’y a jamais de fin à rien.
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